572 SCIENCE CRIMINELLE ET DROIT PENAL COMPARE
Le pourvoi formę par Mme A. a entraine la cassation de Parret le 7 juin 1989 (Buli crim. n° 245) sous la presidence de M. Le Gunehec, et au rapport du conseiller Malibert. II semble que Parret attaque ait ete motive avec un soin insuffisant en se referant au simple risque que la procedurę ainsi declenchee faisait courir au sieur B. ; il n’eut sans doute pas ete tres difficile de decouvrir des sources de prejudice actuel tant materiel que morał.
La Chambre criminelle a rappele, en « chapeau », que « Pallocation de dommages-interets ne peut reparer qu’un prejudice reel et certain, et non purement eventuel ». Elle a estime que la procedurę d’instruction, secrete par naturę, etait sans efTet par elle-meme sur la reputation de Pinteresse. (L’arret ne mentionne pas si des temoins avaient ete entendus et, dans Paffirmative, lesquels) ; or, il parait certain que la convocation du temoin, lorsqu’elle porte qu’il sera entendu dans la procedurę d’instruction ouverte contrę A. du chef de est susceptible de nuire a la reputation du prevenu, surtout si le temoin appartient, comme le prevenu lui-meme, au corps de la police. La denonciation temeraire supposerait donc un resultat et ne serait pas un comportement de « misę en peril ».
Le principe rappele par la Chambre criminelle est, semble-t-il, parfaitement etabli depuis longtemps (sur le plan procedural, V. Merle et Vitu, Traitó de droit criminel, II, 4* ed. n° 77, p. 96 ; Stefani, Levasseur et Bouloc, Procedurę penale, 14* ed. n05 170, 172, 731 ; G. Viney, La responsabilite cmle ; conditions, n° 277 ; notę H. Mazeaud, S. 1933. I. 49 ; comp. Crim. 4 mai 1987, Buli. crim. n° 180). II etait jusqu’a present beaucoup moins reconnu sur le plan du droit pena! special. Tous les auteurs estiment que, si un certain prejudice (autre que Patteinte a la reputation) separe le delit de denonciation caiomnieuse de celui de diffamation, le necessaire prejudice peut etre purement eventuel (Vitu, op. cit. I, n° 515 ; Vouin, op. cit. 6* ed. par Mme M.-L. Rassat, n° 231-2° ; Veron, op. cit. 3e ed. p. 187), et soulignent que Paction est recevable alors meme que le dommage redoute etait (ou est devenu) impossible pour des causes juridiques : amnistie (Nimes, 24 nov. 1966, J.C.P. 1967. II. 15209, notę Michaud), immunite familiale (Paris, 4 juin 1969, J.C.P. 1970. II. 16464, notę de Lestang), deces de la victime (Bourges, 21 nov. 1878, S. 1879. 2. 81) ou prescription de Paction publique (Crim. 4 juill. 1962, Buli. crim. n° 235 ; Crim. 9 juin 1964, Buli. crim. n° 195). Dans ces conditions le droit positif paraissait bien se contenter jusqu’ici d’un prejudice eventuel, et Parret attaque semblait bien ne pas dire autre chose.
La censure dont il a fait Pobjet constituerait-elle dans ces conditions un revirement de jurisprudence ? Nous inclinons k le croire, alors que nous avons exprime un avis different sur Parret commente dans la precedente espece (n° 6-1 -a).
II. — Elements constitutifs et causes de non-responsabilite
a) L’arret rendu le 9 janvier 1990 (Droit penal, avr. 1990, n° 128) met en evidence plusieurs elements constitutifs du delit de denonciation caiomnieuse.
II semble (Parret n’est rapporte que partiellement) que les prevenus avaient adresse au procureur de la Republique une plainte relative a des faits d’ingerence imputables au maire et a un conseiller municipal qui auraient beneficie de commandes de travaux de la commune. La cour de Poitiers les avait condamnes en considerant que les faits denonces « etaient materiellement exacts mais que leur presentation etait exageree » (sur Pimputation de faits deformes, V. Vitu, op. cit. I, n° 516, p. 393 ; Vouin, op. cit. 6* ed. par Mme M.-L. Rassat, n° 231-3°-a ; Veron, op. cit. 3* ed. p. 188 ; V. aussi les decisions citees par ces auteurs). Elle remarquait egalement que, quoique inca-pables de caracteriser dans leur plainte les faits demontrant Pinteret personnel du maire dans les operations reprochees, ils se declaraient convaincus de la culpabilite de celui-ci et, « dans le but d’obtenir des poursuites penales et la condamnation du maire », ils s’etaient adresses au procureur de la Republique sans se contenter de sai-sir les autorites administratives de tutelle.
Rev. science crim. (3), juill.-sept. 1990