110 Annuaire dc la Conunission du droit intcrnational, 1975, vol. U
La responsabilitć de 1’Etat pour des faits d'insurges victorieux a ćtć affirmee egalement par Nielsen dans deux opinions rendues cn qualitć de commissairc americain, rcspcctivcment dans la Commission generale des rćcla-mations Etats-Unis d’Amćrique/Mexiquc creec par la Convention du 8 septembre 1923 et dans la Commission speciale des rćclamations instituće par les memes pays par la Convention du 10 septembre dc la mćme annćc. Dans la premiere opinion, dissidente, sc refćrant a la dćcision relative a YAJfaire Pomeroy's El Paso Transfer Company (rendue lc 8 octobre 1930 par la Commission generale), Nielsen souligne qu’a « plusieurs reprises les tribunaux internationaux ont tenu un gouvernement pour responsable des actes de revolutionnaires victo-rieux 276 ». Dans la seconde, se refćrant a la dćcision dans YAJfaire Russel (jugće le 24 avril 1931 par la Commission spćcialc), Nielsen soutient cxplicitement que, d’apres le droit international generał, « un gouvcrnement est responsable des actes de rćvolutionnaires victo-rieux 277 ». Dans les deux cas, d’ailleurs, les autres membres dc la commission n’ont nullement defendu un principe different. Ils se sont tout simplement abstenus d’aborder la question, car ils Lont jugće non pertinente pour la dćcision des afTaires examinćes.
12) L’analysc dc la pratiquc des Etats montre que les gouverncments ont pris position, k propos du problemc, dans le meme sens que les arbitres chargćs de statuer sur certaines rćclamations. Ainsi, dans un avis relatif k la possibilite d’obtenir rćparation des prćjudices causćs a des sujets britanniqucs, donnć par les conseils de la Couronne britannique le 21 octobre 1861, c’est-&-dire juste au commencement de la guerre civile aux Etats-Unis d’Amćrique, on lit que
au cas oii la partie dont les officiers ou les troupcs ont causć ces pertes ou ces destructions, ou sous 1’autoritć de laquclle elles ont ete infligćcs, rćussirait a s’cmparcr du pouvoir et a ćtre rcconnuc par le Gouvcrnement dc Sa Majeste comme ćtant le gouvcrncmcnt souvcrain, il scrait loisiblc a Sa Majeste d’exiger lc dćdommage-ment de ces pertes et de ces prćjudices *?a.
Plus tard, en pleine guerre dc Sćccssion, les conseils de la Couronne envisagerent, dans un avis donnć le 16 fćvrier 1863, la possibilitć que les Confedćrćs reus-sissent dans leurs buts sćparatistes et affirment leur souvcrainctć sur les territoires du Sud en y constituant un Etat independant de 1’Union. L’hypothćse formulee etait alors celle de la formation d’un Etat nouveau par sćcession de PEtat prćexistant. Se refćrant a cette hypo-these spćcifique, les conseils de la Couronne britannique observerent que
Au cas ou la guerre ccsscrait et ou 1’autoritć des Etats confedćrćs scrait ćtablie de jurę aussi bicn quc de facto, lc Gouvcmcmcnt dc Sa Majeste serait autorisć a reclamer le paientent d’unc indemnite pour les pertes causćes pendant la guerre [... J par les autoritćs confedćrćcs a des sujets de Sa Majestć
a?e Ibid., vol. IV (numćro dc vcntc : I951.V.l), p. 563 [tr. dc 1’onginal anglais].
177 Ibid., p. 831 [tr. de Foriginal anglais]. na McNair, op. cif., p. 255 [tr. dc 1’original anglais].
279 Ibid., p. 257 [tr. dc Poriginal anglais].
13) Au cours des ćvćnements rćvolutionnaires qui se deroulerent au Mexique aprćs la restauration de la republique et qui aboutirent a la prisc du pouvoir par les insurges (et, ensuitc, k la nomination a la prćsidcncc du gćnćral Porfirio Diaz), le sccrćtairc d’Etat Evarts envoya, le 4 avril 1879, au Ministre des Etats-Unis d’Amćrique k Mexico des instructions dans lesquclles il sc declarait convaincu quc lc Gouverncmcnt mexicain nc rejetterait pas les rćclamations de ressortissants americains pour des prćjudices subis, pendant la rćvolution, du fait des insurges. D’aprcs le Sccretaire d’Etat, Pobjection habi-tuelle que PEtat n’est pas responsable des faits d’un mouvement insurrectionnel n’aurait pas ćtć «soulevće dans cc cas, puisque les insurges etaient devenus le gouvernement rćgulier 280 ».
14) Ensuite, on relćvc une serie dc prises dc position intćressantes en relation avec la question de la rćparation des prćjudices causćs a des etrangers au Mexique, en 1910, d’abord par des agents du mouvement revolution-naire de Francisco Madero et, plus tard, par des parti-sans de tentatives d’insurrection avortees contrę le gouvcmcmcnt Madero. La distinction entre les deux situations ressort avec beaucoup de nettetć dans les notes envoyees par le Ministre de Grande-Bretagne a Mexico 281 a son collegue PAmbassadcur des Etats-Unis d’Amćrique, qui ne partagcait pas la meme opinion. Le Departcment d’Etat des Etats-Unis adopta cependant un point de vue similaire a celui que defendait le representant diploma-tique britannique, et, dans une depeche adressće a son ambassadeur (signee au nom du Secrćtaire d’Etat), il fit le commentaire suivant :
Etant ćtabli quc la rćvolution dite de Madero a ete victorieuse, il s’ensuit que, d’apres les regles gćnćralemcnt acccptecs du droit international, les rćclamants qui demandent a ćtre indemnisćs des dominages subis pendant cctte revolution se trouvent, en tant que categorie, dans une position juridiquc meilleurc quc nc lc seraient des personnes dont les rćclamations seraient occasionnees par une rćvoIution avortec.
L’assertion qui apparait dans vos notes au Ministerc mcxicain des afTaires ćtrangćres et au Ministre britannique, selon Iaquclle lc Gouvernement des Etats-Unis ne verrait pas de distinction entre les deux categorics dc rćclamations, a ćtć manifestement faitc sous votre proprc responsabilitć ct sans instruction dc la part du Dćpartcment. Elle s’inspirait probablement dc 1’idćc quc les rćclamations occa-sionnćcs par les derniers mouvcments revolutionnaires etaient fon-dćcs; mais, d’un autre cótć, elle pourrait ćtre interprćtec commc impliquant une renonciation au bćnćfice de la regle qui imposc aux rćvolutionnaires victorieux la responsabilitć de leurs actes. Vous saisirez donc 1’occasion d’informcr les autoritćs compćtcntes quc les assertions contenues dans votre notę du 21 janvier 1913 etaient faites sous votrc propre responsabilitć, et qu’elles n’entendaient
**° Moore, A Digesf... (op. cit.), vol. VI, p. 991 et 992. Des argumentations analogues etaient k la base des demandes de rćparation prćsentćcs par les Etats-Unis d’Amćriquc aux gouvcrncmcnts ćtablis k la suitę dc rćvolutions victoricuses au Honduras (Affaire Otcri, ibid., p. 992 ct 993) et au Perou (Affaire Fowks, ibid., p. 993 et 994).
281 Voir notamment la notę du 28 janvier 1913 (Etats-Unis d,Ameriquc, Department of State, Papers relating to the Foreign Re/ations of the United States, 1913, Washington [D.C.], U.S. Government Printing Office, 1920, p. 938). Dans une des notes ćchangees, le Ministre de Grande-Bretagne se refćra aux instructions envoyćcs par le Ministre des afTaires ćtrangćres de Grande-Bretagne aux bureaux consulaircs britanniques (ibid., p. 937).