20 Annuaire de la Commlssion du droit International, 1975, vol. II
57. Dans lcs confćrences qu’il a donnćcs k La Hayc, Mario Giuliano, aprcs avoir analyse de manierę appro-fondie la pratique des Etats en la matiere, est parvenu a la conclusion suivantc :
A la lumićre des donnees dc la pratiąuc Internationale que nous vcnons d’cxaminer, il apparait ćvident quc la these doctrinalc dont on a parlć [c’est-ń-dire la dćrogation implicite en faveur des unions douanieres] n’cst pas fondće en droit International. En Pabscncc d’une prevision expresse en sens contrairc dans le traitć, le traite-ment dc la nation la plus favorisćc doit s’ćtcndrc aussi aux avan-tages dćrivant d’un regime d’union douaniere etabli par Punę ou par Pautrc des partics contractantes avec des Etats tiers.
Giuliano ajoute cependant :
Tout k fait different est neanmoins le problćme de Popportunitć ou, si Pon veut, du caractćre raisonnable des limitations prćcćdem-ment considćrćcs au fonctionncmcnt dc la clausc. Dc ce point dc vue, il nc peut en vćrite y avoir aucun doute, puisque lc probleme dc Pćgalitć de traitement des nations cn matićrc commercialc nc sc pose jamais — ainsi quc nous avons dćji cu Poccasion de le fairc rcmarqucr — dans Pabstrait ct cn tant qu’un principe dc validitć absolue. Et c’est justement pour cela que Ies gouvcrnements ont toujours apportć un grand soin k insćrer ccs exceptions dans Ies traitćs dc coinmcrce 97.
58. La Commission doit-elle considćrer qu’il s’agit d’une situation o ii il est souhaitable d’assurer le developpcment progressif du droit international en faisant des avantages accordćs aux unions douanieres, etc., une exception dc plcin droit k Papplication dc la clause de la nation la plus favorisee ? A cettc question, le Rapporteur spćcial tend k rćpondre par la negative. Voici quelles sont ses raisons.
59. (A) Exprimer un tel besoin nćcessiterait de porter un jugement dc valeur sur 1’opportunite d’ćtablir des unions douanieres, etc. Examiner si la constitution de tels groupements est souhaitable ou non nous entraine du domaine du droit a cclui dc 1’economie, dans lequel la Commission nc souhaite peut-etre pas pćnćtrer. Neanmoins, les ćconomistes eux-memes en sont cncore a se demander si les arrangements rćgionaux presentent des avantages et, s’ils en presentent, quelles caractćristiques distinguent lcs arrangements avantageux de ceux qui ne le sont pas98.
60. Le professeur Gardner Patterson, eminent spćcia-liste en la matiere, resume avec bonheur les questions economiqucs extraordinaircmcnt complexes auxquelles on touche dans cc domaine lorsqu*il ecrit :
I-..] Une multitude d’ouvrages theoriques a ćtć consacrćc k la question generale des groupements ćconomiqucs regionalne envi-sagćs sous 1’angle ćconomique ł. On devra se borner a souligner ici quc ccs ouvrages theoriques ont rćvele Pcxtrcmc complcxite du probleme et la diversitć des effets ćconomiques cngcndrćs par cc typc d’intćgration rćgionalc. La crćation de tels groupements susciterait un certain courant d’echanges entre Icurs membres — cn effet, au lieu de les fabriqucr cux-mćmes, certains pays
97 M. Giuliano, « Quelques aspeets juridiques dc la coopćration intergouvcrncmcntalc cn matiere d’echangcs ct dc paiements inter-nationaux », Recueil des cours de 1'Academie de droit International de La Haye, 1968-11, Leyde, Sijthoff, 1969, t. 124, p. 601 ct 602.
08 Jackson, op. cit., p. 621.
membres acheteraient dćsormais des produits k un autre pays membre, car lcs produits cn question ne seraient plus assujettis k des tarifs, ctc. Cette intćgration pcnncttrait k des pays membres dc prendrc la place de pays non membres dans certains ćchangcs commerciaux, puisquc certains autres pays leur achćteraient alors des produits qu’ils achctaicnt auparavant k un pays non membre dont les produits seraient dćsormais frappćs de droits plus ćlcvćs que ceux applicables aux pays membres. II s’ensuivrait un glisse-ment dc la consommation de certains produits fabriqućs par des pays non membres vers des produits diffćrcnts fabriqućs par des membres du groupement, puisque ces derniers produits seraient dćsormais moins chcrs pour lcs consommateurs comptc tenu de la modification des structurcs tarifaires. Un tel regroupement amć-liorerait probablement lcs termes de Pćchange des pays membres k 1’ćgard des pays non membres. A Pcxception du premier, tous ces effets seraient plutót nćfastes aux pays non membres. Cependant, 1’analysc theorique a montrć qułil cxistait egalemcnt des effets «dynamiques». Le rćgionalisme aurait probablement aussi un effet favorable sur lc taux de croissancc des pays membres par comparaison avec la situation anterieure. L’integration permcttrait cn effet de micux tirer parti des ćconomics d’ćchcllc, particulićre-ment dans lcs socićtćs ou industries qui bćnćficieraient dc Pappa-rition dc nouveaux courants d'ćchange. II faut souligner aussi Peffet d^ntrainement cxcrcć par des marchćs hors taxes plus etendus sur les prćvisions des entrepreneurs ct, partant, sur lcs invcstissements, et tenir compte ćgalcment des limitations que des marchćs plus ćtendus imposent aux pratiques monopolistiques, ainsi que des ćconomics cxtcmcs qui dcvicnnent possibles, notamment grScc & une meilleure utilisation des ressources de la rćgion dans les do-maines de la tcchnique ct dc 1‘organisation, ctc. En contre-partie, cettc accćlćration du taux dc croissance aurait tendance a faire augmenter le volumc des biens importćs dc pays non membres par les pays membres. Selon cette analyse theorique, Pcffct net d’unc telle construction sur lcs pays non membres ct sur 1’cnsemble du monde pcut ćtre favorable ou dćfavorable selon les circonstanccs particuliercs. 11 scrait trcs difficile de se prononcer en Pabsence de donnćes concrćtcs sur lcs charges de production, la mobilitć des ressources, Pćlasticite de la dcmande, etc. Et Pon nc dispose en generał quc dc peu d’ćlćments d’information dc cette naturę.
Plus important que tout, peut-ćtre, Pana łyse la plus recentc revćle quc si les membres d’un bloc rćgional attribuent une valcur communautaire non seulement au flux dc biens ct scrvices vers le marche, mais ćgalcment k 1’industrialisation ou la diversification en elle-mćrne, il est possiblc quc lcs participants prennent goOt au dćtournement des ćchanges commerciaux pour lui-mćme, car c’cst un moyen pour chaque pays membre d’elever son propre nivcau d’industrialisation ou son propre degrć dc divcrsification, memc au detriment de 1’efflcacite economiąue et au prix de marchćs perdus par des pays non membres. En realitć, du point dc vue des membres, ainsi quc les auteurs citćs plus haut Pont rćvelć, si Pon excepte lcs effets probablement peu importants sur les termes dc Pechange, un bloc rćgional discriminatoire n’offre que peu, ou peut-Stre mćme pas, d’avantagcs par rapport k des arrangements dc libre-ćchangc assortis du traitement inconditionnel de la nation la plus favorisćc sur le plan de Pefficacite economiquc ou dc la protection ćcono-mique telle qu’elle est habituellement dćfinie. Bień entendu, certains arguments autres qu’ćconomiqucs militent cn favcur de Pinte-gration economiquc rćgionale, et, ćtant donnć la pratique consistant
ł Lcs ouvrages dans cc domaine sont ahondants, mais les classiques sont lei suivants : J. Viner, The Customs Union Issue, 1950; J. Mcadc, The Theory of International Economic Policy, vol. I : The Balance of Paymcnts, 1951, ct vol. II : Trade and Wdfare, 1955, ct The Theory oj Customs Unions, 1956; R. G. Lipscy ct Kclvm Lancaster, «The generał theory of sccond bestReview of Economic Studies, 1956-1957, n° 63, p. 11 ń 32; R. G. Lipscy, «Tbe theory of customs uniom : A generał survcy», Economic Journal, Londres, septembre 1960; J. M. Fleming, a On making the beat of balance of paymcnts restrictions on imports », Economic Journal, Londres, mars 1951, p. 48 4 71; T. Scitovsky, Economic Theory and Western Furopean Inteyration, 1958; et B. Balassa, The Theory of Economic Intcgraiion, 1961. Dans son livrc Money, Trade and Economic Growth, 1962, p. 46 4 74, H. G. Johnson prćsente unc synthćsc cnagislralc dc ccs ouyrages. Voir aussi C. A. Cooper ct B. F. Masscll, oc Toward a generał theory of customs unions for developing countrica », The Journal of PolitlcaI Economy, octobrc 1965, p. 4614 476.