120 Annuaire de la Commission du droit International, 1975, vol. 11
[Article 11. — Pas sagę des creances d’Etat
Sous rćserve des dispositions des articles de la presente partie et a moins qu*il n’cn soit autrement convenu ou decidć, les creances dues a PEtat prćdecesseur du fait de sa souvcrainete ou de son activite sur le territoire auąuel se rapporte la succession d’Etats passent a PEtat succcsseur.]
Commentaire
1) Avant d’examiner la rćgle ćnoncćc k Particie 11, la Commission dćsire presenter les observations dc formc suivantes sur le texte de cet article. En ce qui concernc le textc anglais, les mots debts owed y sont suivis de l’exprcssion franęaise «crćances dues», placee entre parenthćses. C’est en effet le sens de « creances dues » que la Commission entend donner k debts owed. Comme il ne parait pas exister en anglais d’ćquivalent exact de l’exprcssion franęaise, la Commission l’a incluse entre parentheses dans le texte anglais. Un probleme analogue s’ćtant pość pour le terme correspondant au mot « creances » dans le texte russe, la Commission a inserć ce mot entre parentheses apres le terme en question. En cc qui concernc le tcxtc dans toutes les langues, la Commission l*a placć entre crochets pour les raisons indiqućes plus loin 354.
2) L'article 11 ćnonce la regle — valable pour tous les types de succession — que, sous les rćserves indiqućes dans le texte, «les crćances dues k PEtat predecesseur du fait de sa souverainetć ou de son activitć sur le territoire auquel se rapporte la succcession d*Etats passent a PEtat succcsseur». La regle s’applique a toutes les crćances qui pourraient etre dues a PEtat predecesseur k un titre ou un autre, qu’elles soient ou non certaines ou liquidćes k la datę de la succession d’Etats. Elle vise les creances de toute naturę, quelle qu’en soit 1’origine, quel que soit le debiteur (personnes physiqucs ou moralcs, nationales, territoriales ou etrangeres) et quel que soit leur caractere juridique (creances hypothecaires ou non garanties, actions, participations, bons publics, sans exclure les impóts). Elle s’applique notamment aux creances qui constituent les ressources publiques de 1’Etat telles que a) ressources domaniales, c’est-k-dire revenus dc biens appartenant, a 1’Etat (coupes de bois, des forets domaniales, droits de chasse ou de peche, etc.), revenus des participations financieres de 1’Etat k des entreprises privees, et revenus des cxploitations industriclles et com-merciales (monopoles fiscaux, services publics industriels); b) taxes administratives ou rćmunćrations pour services rendus; et, surtout, c) impóts — qui sont par excellence l’expression de la souverainetć en tant qu’ils sont requis par voie d’autoritć.
3) Les crćances dues a 1’Etat predecesseur constituent des biens d’Etat au sens donnę k cette expression par 1’article 5. Par consćquent, en 1’absence d’unc disposition particuliere concemant ces creances, elles relćveraient de la regle de Particie 9 selon laquelle «les biens d’Etat qui, a la datc de la succession d’Etats, sont situćs sur le territoire auquel sc rapporte la succession d’Etats passent
3M Voir ci-dessous par. 10 et 11.
a 1’Etat successeur ». La Commission a estimć toutefois que le critćrc dc la situation matćrielle des biens d’Etat ćnonce a Particie 9 nc pouvait gućre etre appliquć dans la plupart des cas k des creances. Elle a donc dćcidć de consacrer au passage des crćances d’Etat la regle distincte qui est enoncee dans la disposition de Particie 11 citee au paragraphe precedent, et aux termes de laquelle, pour qu’une crćance d’Etat passe k PEtat succcsseur, il faut — et il suffit — que 1’une au moins des deux conditions suivantcs soit remplie : a) que la crćance soit due a PEtat prćdecesseur du fait de sa souverainetć sur le condition pourra entrer en jeu dans tous les cas ou b) qu’ellc soit due k l’activitć dc PEtat predecesseur sur le territoire en question. II va dc soi que seule la deuxieme condition pourra entrer dans le jeu dans tous les cas ou PEtat prćdecesseur n’avait pas la souverainete sur le territoire auquel se rapporte la succession d’Etats, et notamment dans certaines situations relatives k des territoires dependants.
4) La regle ćnoncće k Particie 11 reflete la jurisprudence des tribunaux de nombreux Etats successeurs. C’cst ainsi qu’cn 1864 la Cour de cassation franęaise decidait que le fait de Pannexion dc la Savoie k la France n’avait pas libere le requerant des droits d’enregistrement dus k PEtat prćdćcesseur d’apres les lois sardes 355.
5) Dans une serie de decisions prises aprćs la premiere guerre mondialc, la Cour administrative supreme de Tchćcoslovaquie a jugć quc c’ćtait par 1'effet de sa propre souverainetć territoriale que PEtat tchćcoslovaque avait peręu tous les impóts et taxes payables sur son territoire et non recouvres a la datę de sa creation, le 28 oc-tobre 1918, et qu’il ćtait fondć k ne pas reconnaitre les paiements effectućs apres cette datę k des autoritćs ćtrangeres. Un appelant avait soutenu vainement que PEtat tchecoslovaque n’avait pas qualite pour percevoir une redevance a Pegard de laquelle Pancien Etat autri-chien ćtait dcvenu creancicr avant le 28 octobre 1918 et qui avait ćtć payee aux autoritćs autrichienncs k Vicnne le 29 novembre 1918. La Cour a jugć qu’& dater du 28 octobre 1918 le droit de percevoir les impóts en Tchć-coslovaquie, y compris les impóts dus avant ce jourt appartenait uniquement k PEtat tchćcoslovaque3M.
6) Dans une affairc concemant la succession d’une personne privće (succession Dietl), la Cour supreme de Pologne a jugć qu’ćtait passee a PEtat successeur (la. Pologne) une crćance de PEtat prćdecesseur (la Russie) resultant d’un acte dressć en 1889 par lequel le de cujus s’ćtait engage a fairc batir une ćcole dans le territoire auquel se rapportait la succession d’Etats 357. Dans une autre aflaire, elle a jugć que la crćance de PEtat predć-cesseur contrę une ville situće sur le territoire en question ćtait, elle aussi, passće k PEtat successeur 358.
384 Cour de cassation franęaise, Chambre civile, arret du 30 aoQt 1864, Barjaud c. Enrcgistrement (M. Dalloz, Jurisprudence generale: Recueil periodiąue et critique de jurisprudence, de legislation et de doctrine, lrc partie, Paris, Burcau de jurisprudence generale, 1864, p. 351).
3J* Voir Annuaire... 1963, vol. II, p. 140 et 141, doc. A/ CN.4/157, par. 354.
SJł Ibid., p. 138, par. 333.
318 Ibid., p. 139, par. 336.