132 Annuaire de la Commission du droit International, 1975, voI. 11
11) Etant donnć Tabandon dc ccttc formc conditionnclle de la clause, celle-ci n’a plus dćsormais qu'un intćret historiąue. Tous les auteurs consultes reconnaissent que la formę traditionnelle de la clause est definitivement tombćc en dćsućtude 428.
Vinterpretation conditionnelle d'une clause incondition-
nelle
12) Au xixe sićcle et au dćbut du xxe, la doctrine et la pratique intcrnationalcs ćtaient divisees quant k 1'inter-prćtation d’une clause de la nation la plus favorisće ne prćcisant pas explicitcment son caractere conditionnel ou inconditionnel 427. Cette division ćtait due a la pratique suivie par les Etats-Unis d’Amćrique, qui considćraicnt systćmatiqucmcnt ces clauses comme conditionnelles, meme lorsque leur caractere n’etait pas expressćment indique428.
13) On pcut faire remonter cette position des Etats-Unis k l’ćpoque de 1’achat de la Louisiane, c’est-a-dire au traite du 30 avril 1803 par lcqucl la France cćdait la Louisiane aux Etats-Unis. L*article 8 dudit traitć stipulait que «les navires franęais seront traitćs sur le picd de la nation la plus favorisee» dans les ports du territoirc cćdć. En vertu dc cette disposition, le Gouvernement franęais a demandć en 1817 k bćnćficier dans les ports de la Louisiane des avantages qui ćtaient accordćs a la Grande-Bretagne dans tous les ports des Etats-Unis. Les avantages consentis k la Grande-Bretagne 1'ćtaient en vertu d’un Act oj Congress du 3 mars 1815, loi qui exemptait les navires dc certains pays etrangers du paie-ment de droits discriminatoires dans les ports des Etats-Unis k condition que les navires amćricains bćnćficicnt d’une exemption analogue dans les ports desdits pays. Ccttc excmption avait etć consentie par la Grande-Bretagne, mais non par la France, en sorte que les b&timents franęais continuaient a payer des droits discriminatoires dans les ports des Etats-Unis alors que les vaisseaux britanniques en ćtaient exemptćs. La demandc franęaise fut rejctće pour le motif que la clause ne signifiait nullement que la France ćtait en droit de bćnćficier gratuitement de ce qui ćtait concćdć a d’autrcs pays moyennant pleine contrepartie. La position des Etats-Unis ćtait expliquee de la maniere suivante :
11 cst ćvidcnt — dćclara M. Adams — que si les navires franęais ćtaient admis dans les ports de la Louisiane moyennant paicmcnt des memes droits que les navires des Etats-Unis, ils jouiraicnt non pas du traitcmcnt dc la nation la plus favorisee, conformćmcnt a Particie en question, mais d’un traitement bcaucoup plus favorablc quc toutc autrc nation; en effet, les autres nations, a Pexception de PAngle-
4M Snyder, op. cit., p. 56. Voir aussi G. Jacnickc, « Mcisbcgiins-tigungsklausel», dans K. Strupp, Wórterbuch des Vólkerrechts 2® ćd. [Schlochauerl, Berlin, de Gruyter, 1961, vol. II, p. 498; P. I.evcl, «Clause de la nation la plus favorisee», Encyclopedie Dalloz — Droit International, Paris, Dalloz, 1968,1.1, p. 333, par. 5; E. Sauvignon, La clause de la nation la plus favorisee, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1972, p. 23.
487 S. Basdcvant, « Clause de la nation la plus favorisee », dans A. G. de Lapradellc et J.-P. Niboyet, Repertoire de droit interna-tionul, Paris, Sirey, 1929, t. 111, p. 479, par. 73.
4,8 Voir C. C. Hyde, « Conceming the interpretation of treaties », American Journal of International Imw, Washington (D.C.), vol. 3, n° 1 (janvier 1909), p. 57.
tcrrc, paicnt des droits dc tonnage plus ćlevćs, et Pexoneration accordee aux navires anglais n’est pas une faveur gratuite, mais constitue un avantagc acquis a un prix ćquitablc et equivalcnt.
La France n’a toutefois pas admis le bien-fondć de cette these, et elle a maintenu sa demandc dans la correspon-dance diplomatique qu’elle a echangee k cc propos jusqu’en 1831, datę a laquellc 1’afTairc fut reglćc par un traite qui reprenait, en fait, 1’interprćtation amćricainc 429.
14) Non seulement les Etats-Unis sont passćs de 1’emploi des clauses conditionnelles k cclui des clauses incondi-tionnclles dans leur politique commerciale et leur pratique en matierc dc traitćs commerciaux, mais leur intcrprćta-tion des clauses conditionnelles restantes a elle aussi evoluć. A l’ćpoquc de la conclusion du Traitć d’amitie, de commcrcc et de droits consulaires (8 decembre 1923) cntre 1’Allemagne et les Etats-Unis, le Secrćtaire d'Etat Hughes exposait de la faęon suivante la position americaine :
II y a un malcntcndu quc j’aimerais dissiper. On dira que, par les clauses de la nation la plus favorisće qui figurent dans le traitć prćvu avec rAllemagnc, nous etendrons automatiquement i d‘autres pays les privilegcs accordćs a rAllemagnc, sans obtenir de ces pays les avantages que nous donnę le traite avec 1’Allemagnc. C’est la une erreur. Nous accordons explicitement k PAIlemagne le traitement inconditionnel de la nation la plus favorisćc, qu’clle nous octroie dc son cótć. Mais nous n’accorderons ce traitement aux autres pays que dans la mesure ou ceux-ci accepteront de conclure avec nous un traite analogue quant au fond a cclui qui va nous licr avec rAllemagnc. Le traitement de la nation la plus favorisće ne peut ćtre accorde aux autres pays qu’en vertu de nos traitćs avec eux, et ces traitćs, sous leur formc actuellc, ne prćvoient pas ce traitement sous sa formę inconditionnelle. Nous ne pouvons conclure des traitćs avcc tous les pays en mćme temps, mais, si le Sćnat approuve le traitć que nous avons nćgocić avec PAIlemagne, nous nous efforcerons de nćgo-cier des traitćs similaires avec d’autres puissances, et celles-ci n’obtiendront le traitement inconditionnel de la nation la plus favorisćc qu’a condition de conclure avec nous des traitćs analogues a notre traitć avec rAllemagnc 430.
15) Dix ans plus tard, le Secrćtaire d’Etat Hull adoptait une position moins rigoureuse, estimant que 1’octroi d’un avantage k un pays conformement k une clause inconditionnelle de la nation la plus favorisćc revenait k accorder gratuitement cct avantage dans le cadre d'une clause conditionnelle de la nation la plus favorisće, cet avantagc ćtant accordć immćdiatement et sans compensation selon les modalitćs prćvues par la clause conditionnelle en question. Conformement a cette interpretation, lorsque les Etats-Unis rechercherent en 1946 des dćrogations aux clauses de la nation la plus favorisćc contenues dans les traitćs existants, de faęon a pouvoir accorder des prćfe-rences tarifaires sur une base de reciprocite k la plupart des produits philippins apres l’indćpcndance des Philip-pines, ils dcmanderent ces dćrogations, non seulement aux pays avec lesquels ils avaient conclu des accords contenant des clauses inconditionnelles, mais aussi aux
478 J. B. Moore, A Digest of International Law, Washington (D.C.), U.S. Government Printing Office, 1906, vol. V, p. 257 a 260. Voir aussi G. W. Wickersham, rapporteur, Comite d’experts pour la codification progressive du droit International, doc. SDN C.205.M.79.1927.V, p. 7.
480 M. Whiteman, op. cit., p. 754.