84 Annuaire de la Commission du droit International, 1975, vol. II
27) Les cas ou les agissements de particuliers ont ete dirigćs contrę des personnes ćtrangeres invcstics par leur Etat d’une qualitć reprćsentative (et pour lesque!Ies ce dernier Etat ćtait donc en droit d’exiger une protection spćciale) sont des cas qui exigent une attention parti-culiere 137. On pourrait se demander en eflet si, en pareil cas, la regle genćralc qui ressort clairement de la pratique des Etats tout autant que de la jurisprudence arbitralc ne devrait pas soulTrir une exccption afin que 1’Etat sur le territoire duqucl les faits prejudiciables de particuliers ont ete commis soit considere comme rcsponsable de ces faits, et cela indćpendamment du comportement de ses organes en ce qui conccrne l’exćcution de Pobliga-tion dc protection accrue qui incombe aux organes de PEtat a Pegard des reprćsentants officiels de puissances ćtrangeres.
28) A ce sujet, il y a licu d’examiner tout d’abord un incidcnt intcrnational dont Pinteret est lić aux prises de position et aux discussions qu’il provoqua au sein du Conseil de la SDN et d’autres organismes internationaux : il s’agit de Yincident de Janina ou du meurtre des membres italiens de la mission Tellini. Le 27 aout 1923, le generał Tellini, prćsidcnt de la commission internationale chargee par la Conference des ambassadeurs de dćlimiter la frontićre grćco-albanaise, et les membres de la dćlćgation italienne a la commission furent assassines par des inconnus k proximitć de Janina, en territoire grcc. Le 29 aoGt, le Gouvemement italien adressa au Gouverne-ment grec une notę qui presentait une sćrie de requetes, aliant du chatiment des coupables a difTćrentes formes de reparation du prejudice morał et materiel cause a 1'Italie138. Le Gouvcrnement grcc rćpondit le lendcmain, niant sa responsabilite dans ce qui ćtait arrive et nc se declarant dispose qu’& recevoir certaines des demandes du Gouvernement de Romę, dont celle qui concernait le paiement d’une indemnitć en faveur des familles des victimes139. L’ltalie proceda alors k 1’occupation de Corfou a titre de prise de gage pour s’assurer de Pexćcu-tion par la Grece de ses obligations. Sur quoi la Grece saisit le lcr septembre, le Conseil de la SDN du difle-rend ,4°. A cctte phase de PafTaire, Pattitudc du Gouver-nement italien semblait indiquer que, vu le caractere du crime et la personnalite de ses victimes, il estimait que la responsabilite de 1’Etat grec dćcoulait simplement du fait quc le crime avait ćte perpćtrć en territoire grec, et non pas d’une attitude ćventuelle d‘organes de 1’Etat territorial en relation avec cc qui ćtait arrive. Le Gouvcr-nement italien ne faisait aucunc rćfćrence a des manquc-ments ćventuels des autoritćs grecques a leurs devoirs de vigilance et dc protection. Par contrę, le Gouverncment grec, tout en se declarant conscient que des rćparations ćtaient dues au Gouverncment italien pour le crime odieux, s’eleva contrę Pallegation d’une responsabilitć morale et materielle du Gouvernement hellenique con-cernant ce crime, aucune preuve n’ayant ete fournie d*un manquement de sa part k ses propres devoirs 141. La Conference des ambassadeurs, qui ćtait intervenue de son cóte, adopta, le 5 septembre, une rćsolution qu’elle communiqua au Conseil de la SDN ,42. Cette resolution presentait quelques aspects contradictoires, et nc manqua pas de soulever des reserves au cours dc la discussion qui s’engagea au Conseil dc la SDN sur la rćponse a donner a la communication. reęue de la part de la Confć-rence des ambassadeurs 143. D’une part, elle acceptait la proposition grecque de creer une commission d’enquete chargee de faire la lumiere sur les circonstances de Pevenement et, partant, sur Pexistence d’une eventuclle responsabilite de la Grece. Mais, d’autre part, elle affirmait comme un principe de droit intcrnational la responsabilite automatique des Etats pour les crimes et attentats politiques commis sur leur territoire, rejoignant ainsi la position prise alors par le Gouvernement italien. L’incident fut regle par la Conference des ambassadeurs, qui, le 13 septembre, adopta une resolution qui prenait acte de Tengagement du Gouvemement grec de prćsentcr des excuses et d’offrir d’autres formes solennellcs de satisfaction, ainsi que du versement par ce gouvernemcnt i la Banquc nationalc suisse d’unc sommc en garantie dc la reparation qui pourrait ćtre fixćc au cas ou les coupables ne seraient pas retrouvćs. La resolution prenait ćgalement acte de Tengagement du Gouvernement italien d’evacuer 1’ile de Corfou 144.
29) Le Conseil de la SDN prit acte du reglement de 1’affaire k sa sćancc du 17 septembre145. Toutefois, le 28 septembre, il dćcida de soumettre k un comitć special de juristes cinq questions a propos des problemcs de droit intemational souleves par 1’incident italo-grcc146. En reponsc a la question V posec par le Conseil, le Comitć de juristes dćclara quc
La responsabilitć d’un Etat, pour crime politiąuc commis sur la personne des etrangers sur son territoire, ne se trouve cngagćc quc si cct Etat a nćgligć dc prcndre toutes les dispositions appropriees en vue de prćvenir le crime et en vue de la poursuite, de 1’arrestation ct du jugement du crimincl.
Le caractere public reconnu que revćt un ćtranger, les circonstances dans lesquelles il se Itouvc sur le territoire de l’Etat entralnent, pour cclui-d, un dcvoir dc vigilancc spćcialc a son ćgard u7.
L’opinion du Comitć de juristes diffćrait donc nette-ment de celle qu’exprimait la Conference des ambassadeurs en 1923. La responsabilite de PEtat ne se produit, d’apres le Comitć, qu’en cas de manquement par les organes de PEtat a leur devoir de proteger tout speciale-ment les personnes Ićsecs par un attentat de la part de particuliers. Le Conseil de la SDN examina la reponsc du Comitć de juristes et l’approuva a Punanimitć, Italie
m Ibid., p. 1288 et 1289.
141 Ibid., p. 1294.
143 Ibid., p. 1294 et suiv.
144 Ibid., p. 1305 ct 1306.
144 Ibid., p. 1306 et suiv.
144 Ibid., p. 1349 et suiv.
,4ł Ibid., 5e annćc, n° 4 (avril 1924), p. 524.
137 De cc point dc vuc, on pcut assimiler aux agissements contrę des pcrsonnalitćs officicllcs ćtrangeres ceux qui sont pcrpćtrćs par des particuliers contrę des biens d’un Etat ćtranger, comme 1’edifice d’unc ambassadc, le sićge d’un consulat, ctc.
lłł SDN, Journal officiel, 4e annee, n° 11 (novcmbrc 1923), p. 1413.
134 Ibid., p. 1413 et 1414.
140 Ibid., p. 1412 et 1413.