86 Annuaire de la Commission du droit International, 1975, vol. II
deja exposees, qui emportent une responsabilitć dans des circonstances semblables. On accusera le gouvcrnement du pays d’avoir manquć, quant a lui, k des obligations intemationales de vigilance, de protection et de contróle, ou d’avoir failli au devoir specifique de ne pas tolerer sur son territoire la preparation d’actions dirigćcs contrę un gouvernement ćtranger ou susceptibles de raettre en danger la sćcuritć de ce gouverneraent, etc. II s’agira, en d'autres termes, toujours des memes faits illicites inter-nationaux d’omission qui sont habituellement mis a la charge des Etats en relation avec les agissements de particuliers et dont on a cite des exemples nombreux l57. Pour quc 1'Etat puisse encourir une responsabilitć due a d’autres causes — une rcsponsabilitć naissant directe-ment des actions commises par les bandes ou les groupes considćrćs —, il faut que la situation soit autre. II faut que les relations de ces groupes avec le gouvemement du pays ou ils ont leur base soient d’une naturę diffćrente et plus ćtroitc. La ou Pon constate que ce gouvernement encourage et s’applique mSme a promouvoir Porganisa-tion de ces groupes, qu’il les aide financićrement, les entraine, les arme, coordonne leur action avec celle de ses propres forces en vue d’operations ćventuclles, etc., les groupes en qucstion cessent d’etre, du point de vuc du droit intcrnational, des particuliers. Ils deviennent des formations qui agissent de conccrt avec 1’Etat et a son instigation, qui remplissent des missions autorisćes, ou meme confićes a eux, par PEtat. Ils rentrent alors dans la catćgorie de ces personnes ou groupes lićs, en fait sinon formellement, avec 1’organisation de 1’Etat qu’on appelle souvent « organes de fait» et dont nous nous sommes occupes k Particie 8, al. a, du prćscnt projet15S. Lorsqu’ils exćcutent les activitćs prevues, cclles-ci sont attribuees a PEtat et sont des faits intcmationalement illicites de ce dernier — des faits illicites d’action et non pas d’omission, qui engagent a ce titre la responsabilitć internationale dudit Etat. On est donc manifestement loin des simples hypotheses d’une responsabilitć de PEtat en relation avec des agissements de particuliers.
157 Cćtaient prćcisćmcnt des accusations dc violation par omis-sion de Pobligation d’cxcrccr le contróle ct la vigilancc dus qui apparaissaicnt, par cxemplc, dans les rcmontrances faites au debut de 1958 par le Gouverncmcnt franęais au Gouvernement tunisien pour mettrc en ćvidcnce la responsabilite de ce dernier en relation avec le trafie d’hommes et dc matćricl qui s’exeręait k la frontiere algćro-tunisicnne (Kiss, op. cit., p. 558). Les remontranccs faites par 1’Espagne aux Etats-linis d’Amćriquc lors dc Pattaquc dc vcdcttes anticastristes contrę le cargo cspagnol Sierra Aranzazu, qui a eu licu dans la mer des Antilles le 14 septembre 1964 (Revue generale de droit international public, Paris, 3e sćrie, t. XXXVI, n° 1 [janv.-mars 1965], p. 126 et suiv.), ćtaient du meme ordrc.
IM II est instructif de lirę, & ce sujet, la notę du 21 fevrier 1934 du Service juridique du Ministere des affaires etrangeres franęais (Kiss, op. cit., p. 585) conccrnant la polemique entre le Gouvcrncmcnt allcmand et le Gouvernement autrichien a propos dc la crćation en Allemagne dc la Ligue dc combat des Autrichicns allemands ct des activitćs dc cettc ligue. L’histoirc des rćclamations relatives a des cas dc cc genrc montre d’ailleurs que c’est surtout sur l’existence de la preuve de liens entre le gouvcmement et les organismes prć-tendument prives poursuivant des activitćs nuisiblcs pour des Etats voisins qu’ont porte les discussions entre les pays interessćs. Sur les cas d’«agression indirectc» par Pintcrmćdiaire de groupes armes « prives », voir S. G. Kahn, «Private armed groups and world order», Netherlands Yearbook of International Law, 1970, Lcydc, vol. I, 1971, p. 32 et suiv.
33) Les opinions exprimees par les auteurs qui ont traitć du sujet peuvent pour 1’essentiel etre groupees en trois courants fondamentaux, suivant leur adhćsion de prin-cipe a l’unc ou k 1’autre des quelques Solutions theorique-ment possibles des problemes envisages. On peut d’abord rappeler les opinions qui, se fondant sur des notions de « solidarite du groupe social» ou de « garantie », con-duisent k attribuer a 1'Etat, comme source d’une responsabilitć internationale, des agissements de particuliers, tout a fait independamment de 1’attitude eventuellement observće par des organes en relation avec dc tels agissements. La premićre idće a pu tenter quelques ecrivains modernes 159, mais n’a gućre de vrais adeptes k Pćpoque actuelle. Quant a la seconde, ellc a rarcment ete prónće comme un critere d’application gćnćrale 16°. Elle a par contrę trouve, surtout dans le passe, des partisans qui Pont dćfendue en vue d’une application a des situations speciales, aliant de celle des faits commis au cours d’emcutcs, de guerres civiles ou de manifestations xćno-phobes 161, a celle de faits perpćtrćs contrę des personnes ou des biens ayant droit a une protection spćciale 162. Le
m C’est en effet a une sorte de reprise de cette idće sous une nouvclle formę que semble penser, k un moment donnę, G. Arangio-Ruiz (« Stati e altri enti [Soggettivit& internazionalc]», Novissimo Digesto Italiano, Turin, vol. XVIII, 1971, p. 154, notę 9).
1.0 On ne connalt que A. Soldati (La responsabilite des Etats dans le droit international, Paris, Librairic de jurisprudcncc ancienne et modernę, 1934, p. 83 ct 84) qui soutienne que 1’Etat, pour garantir Pexecution dc ses obligations, doit en generał se porter garant de la conduitc dc n’importc qui.
1.1 Voir E. Brusa, « Rcsponsabilitć des Etats k raison des dom-mages soufferts par des ćtrangers en cas d’ćmeutc ou de guerre civile», Annuaire de Plnstitut de droit international, 1898, Paris, t. 17, 1898, p. 96 ct suiv.; Fauchille, ibid., 1900, t. 18, 1900, p. 234 ct 235. Un nouveau rapport copjoint de E. Brusa ct dc L. von Bar (« Nouvelles theses», ibid., p. 47 ct suiv.), qui allait dans le mSme sens, fut approuvć par la majoritć k 1’Institut de droit international (ibid., p. 254 ct suiv.). Les auteurs ne reserverent toutefois pas un accueil favorablc a dc tellcs conceptions. Seul J. Goebel (« The intcrnational responsibility of States for injuries sustaincd by aliens on account of mob violence, insurrections and civil wars », American Journal of International Law, Washington (D.C.J, vol. 8, n° 4 [oc-tobre 1914], p. 802 ct suiv.) cssaya quelqucs annees plus tard de dćfendrc les idćcs dc Brusa. D’autres auteurs ont plus recemment prónć 1’adoption d’une solution prćvoyant la responsabilitć de PEtat pour tous les dommages causćs k des ćtrangers au cours dc mouvc-ments de foules xenophobes, mais sans prćtcndrc quc c’ćtait deji la solution rćalisćc dans les rapports internationaux. Voir p. ex. J. W. Garner, « Responsibility of States for injuries suffered by forcigncrs within their territories on account of mob violence, riots and insurrection », Proceedings of the American Society of International Law (at its twenty-first annual meeting, Washington [D.C.], April 28-30, 1927), Washington (D.C.), 1927, p. 57, 58 et 62.
1.1 La responsabilite de PEtat pour tous les faits de particuliers commis dans ces conditions a etć soutenue par A. Decenciere-Ferrandiere (La responsabilite internationale des Etats a raison des dommages subis par des ćtrangers, Paris, Rousseau, 1925, p. 128), par C. Eaglcton (op. cit., p. 80, 81 et 93), par J. Dumas (« La rcsponsabilitć des Etats a raison des crimes et delits commis sur leur territoire au prejudice d’etrangcrs», Recueil des cours... 1931-11, Paris, Sirey, 1932, t. 36, p. 254), par L. Cavarć (Le droit international public positif 2e ćd., Paris, Pćdonc, 1962, t. II, p. 496 et 497), par D. W. Greig (op. cit., p. 444). Notons, par la mćme occasion, quc M. R. Garcia-Mora (International Responsibility for Hostile Acts of Private Persons against Foreign States, I-a Haye, NijhofT, 1962, p. 28, 29 et 35) prdne Padoption d’une regle qui remplacerait celle aujourd’hui en vigueur et rendrait PEtat auto-matiqucment responsable dc tous les faits commis sur son territoire par des particuliers, lorsquc ces faits seraient susceptibles dc mettre en danger la paix et la sćcuritć intemationales.