34 SAINTE-ANNE DAURAY
croirc quelque temps que son protdgd n’oublicrait pas si tót les bonnes relations qu'ils avaient eues ensemble, et qu’il viendrait au moins expliquer franchement son changęment d'attitude. Mais plusieurs jours se passent, le vendredi arrive, c’dtait la veille de la grandę proces-sion: le recteur ne donnant toujours pas signe de vie, de bon matin deux Pdres se rendirent k Pluneret avec mission de lui dire que l’dvdque avait ddsignd le supdricur du Petit Sdminaire pour prdsider la cdrd-monie du lendemain, et de rappeler en mdme temps toutes les modifications qu'on lui avait notilides k Vannes.
Les deux messagers se heurtdrent k un homme bien determind k ne faire aucune concession. « Monseigneur, disait-il, ne m’a pas notifid les conditions dont parle votre supdrieur. Et, du reste, sil m’en avait parld, je n'aurais pas acceptd la place amoindrie qu’on veut me faire aujourd’hui. » Aprds une discussion de 2 heures, ils se retirdrent sans avoir rien obtenu.
Devant cette intransigeance le P. Cudne! n’avait plus qu’6 faire intervenir l’dvćque ; et il envoya aussitót a Yannes pour avoir une ddcision dcrite.
La rdponse fut catdgorique : c’dtait au supdrieur & prdsider; et il ferait savoir au recteur de Pluneret que celui-ci navait rien & pretendre sur la chapelle de Sainte-Anne.
Les prescriptions de l’dvdque furent exdcutdes de tout point; le recteur, sans du reste engager l’avenir, resta chez lui; et les fdtes se passdrent sans incident.
Comment expliquer cet etrange revirement chez un homme qui plaisantait si volontiers son recteur, et jugeait quelques mois auparavant ses prdtentions tout k fait ddruisonnables ?
On pourrait dire que la perspective desobjets change avec les points de vue du spectateur: un vicaire ne voit pas les choscs avec les mćmes yeux qu’un chef de paroisse, et les apprdciations diffdrent suivant que Ton jagę en simple tćmoin ou que 1’on est personnellement intćressć dans la question.
Mais ceci ne suffirait pas A expliquer son opiniAtretA; et il ne se fiit pas engagA dans une lutte aussi inAgale, s’il n’avait trouvć quclque part un encoqragement et un appui. *
11 y avait A cette Apoque A Vannes un homme haut place qui n aimait par In maison de Sainte-Anne. M. Le Gal, ancien lazariste, supArieur du Grand SAminaire, vicaire gAnćral, n’avait pas vu d’un bon ceil s’Atablir A Sainte-Anne un ordre reiigieux dont la doctrine Atait en clAsaccord sur plusicurs points avec les idAes qu’il enseignait lui-mćme (1). Et, d'autre part, le contrat passA avec les JAsuites laissait entre leurs mains toutes les offrandcs dont M. Le Gal avait librement disposA jusque-lA au profit des vocations ecclAsiastiques (2).
Or, c’est A M. Le Gal que le recteur Atait alle deman-der des conseils pour le gouverncment de sa paroisse,
(1) Sainte-Anne ćtaitdevenu, comme on devait bien s’y attendre. un foyer d'anti-jansćnisme: les Jćsuites, ćn prenant la direclion du P. S. s’ćtaicnt proposć de rćagir, dans leur ćcole comme dans leurs missions, contrę le venin janslnisto qui commenęait, prćciserae.nt alors, k vicicr l'enseignement eccl4siastique du dio-cćse. Une lettre latine ćcrite au P. Koothan en 1827 indique bien que tel Atait leur but: « Bon* al(/ue profundiora studia in elero procu-rare, lerpentemęue jantenianam hrerttim detlruere, >« (Archires de la compagnic k Canterbury). — De son c6ti le P. CuAnct Acrit dans son Mćmoire: « Beaucoup d*ecclAsiastiques, surtout parmi les jeunes, sont infectAs de jansAnisme. Mais ceux-d ne riennent pas k Sainte-Anne. Les autres nous regardent comme le centre de la bonne doctrine et comme leur boulerard, et, par le fait, nous le sommes : en dehors de nous personne dans le diocAse ne se prA-scnte k eux pour les encoutager. » M. Le Gal ne pouvait pas igno-rer cette situalion.
(2) On lit dans le rapport dc 1’lnspecteur gAnAral en 1819: « M. Le Gal, loin de partager Tareugle engouement qu'inspire* l’Acolo dite ecclesiastique (de Sainte-Anne), gAtnit en secret. II m'a donnAA connaltrc quc la communautA dc Sainte-Anne n'ayait AtA cAdee k monseigneur i’evAquc qu'& la condition d’cn faire tour-ner les offrandes et les revenus au profit des ecclAsiastiques pauvres et inflrmes de son diocAse, dont les intArAls se trouvent encore entiArement sacrifiAs k ceux des JAsuites. » (Areh. dtpart., t. 390-402).