I
32$ SAINTK-ANNK DAURAY
Les uns apres les autros s'agcnouiltaient devant la statuę • vćnćrće, et plusieurs d'entre eux y ćtaient cncore quand un cri d'alarme, poussć par les guetteurs et rdpćtć dans le village, leur fit faire k la hńtc le signe de la croix.
Une colonne ennemie arrivait en effet, c’ćtaient les Fćdćrćs de Loricnt ; le combat dćsormais ćtait inćvitable.
Pour les Chouans, le champ de bataiile ne pouvait pas ćtre micux choisi: les attaquer aupres de leur sanctuaire national, Cetait doublcr leurs chances de succ&s; et l'un d'eux n’a pas craint d'affirmer que • sur un pareil terram il y aurait eu presquc de 1'impićtć de leur part k ne pas croire qu’un bras invincible combattait pour eux > (1).
Du reste la lutte scmblait devoir ćtre sans merci: leurs ennemis avaient dćclarć publiquement qu’ils ne rentreraicnt le soir k Auray qu’avec des tćtes de brigands au bout de leurs baionneltcs : cela les « brigands ■ ne 1’ignoraient pas ; et cest ce qui leur fit comprcndre que pour cux il n'y avait pas d’autre alternative que de vaincre ou de mourir.
En en clin d'ceil ils se jettent sur leurs armcs, et se rangent autour de leurs chefs respectifs dans 1‘ordre prescrit. — Gam-ber dcvait former 1'aile gauche. et marcher le premier; 1’aile droitećtait confićek Le Thieis; les ćcoliersoccupaient le centre; derri&re eux les marins de Cadoudal composaient la rćserve. Le choc eut lieu sur la route de Vannes, dans la landc au-delśk delaubcrge du « Cheval Blanc •. Les Fćdćrćs cngag&rcnt le combat « en poussant des cris terribies, les Chouans se portirent en avant, & la course et en silencc, suivant 1'ordre du gćnćral • (2).
Au dćbut il y eut un moment critique pour les Chouans. Le Thieis n’avait pu entrainer tous ses hommes; la droite se trouvant ainsi degarnie recula ; et un moment on put craindre que ce repli ne dćgdnćrdten panique. Mais Cadoudal veiłlait; il intervint k temps, et par un mouvement habile contourna 1'ennemi; ses marins avec un ćlan irrćsistible se prćcipitent & sa suitę comme k 1'abordage; et alors ce fut une vćritable m£lće. Eile dura d ailleurs peu de temps: bientót du cdtćdes impćriaux, il se produisit une hćsitation, qui se changea k la fin en une dćroute gćnćrale.
(1) Op. cii., p. 203.
(2) Lcltre 4 mei ntv«ux, par. J. Guillemot, p. 223. . * .
Les ćcoliers, pour leur baptćme du feu, eurent une belle attitude: ils avaient enfoncć par leurs seuls moyens le centre ennemi.
Les fuyards, poursuivis longtcmps sur la route de Vannes, laiss&rcat derrifere eux des armes, et mdme une vingtaine de prisonniers, dont le commandant en chef.
C'<taient ces soldats qui s’źtaient vantćs la veille de rentrer & Auray avec les tótes des scćlćrats ; et c’ćtait ce chef qui s'ćtait rendu coupable de (klonie en faisant & Cadoudal, quelques jours auparavant, des promesses dont la perfidie ne pouvait plus ćtre misę en doute.
Qu'allait-on faire d’eux ?
En gucrre civile on ne gardę pas dc prisonniers : ou on les renvoie ou on les fusille.
A Sainte-Anne d'Auray on les renvoya(l).
Les vainqueurs pardonn£reot ; les jeunes surtout furcnt heureux de ne pas ternir un si bcau dćbut par des reprćsailles.
Tous d'aillcurs laisserent voir & quelle sourcc ils puisaicnt cette gćnćrositć. « Durant le combat un grand nombre dentre eux avaient adrcssć des voeux k sainte Annę: ils tinrent k les acquitter avant de partir, et la place manquait aux cicrges qu’ils venaient l’un apris 1’autre allumer devant la statuę. Ce n'est pas pour des coeurs aussi chrćtiens que sont faites les passions haineuses ni les rigueurs mime lćgitimes. »
(I) Les troupes rlguliires nc faisaient pas grAce aux insurgis; ils n*en araient mime pas (ait aux prisonniers de Quibcron. Aussi les vaincus de Sainte-Anne, au moment ot> on les achcminait vers le quar-tler giniral, montraient, A la sombre risignation qui se peignait sur leurs visagcs, qu’ils crojraient marcher vcrs le licu dc leur czicution.
Le cas du commandant se compliquatt de perfidie. Nćanmoins Cadoudal lui dlt: « Je vous rcnvoie chcz vous. Mała ditc*-moi franchement. si vous nous aviox vaincus, nous auriez-vous traitis dc mime ». — • Citait mon intention, ripondit-il en baissant les yeux; mais je n’osc pas afflrmer que c'cdt Ati en mon pouvoirl •
Le commandant sappcłait Josse: c’Atait un avocat. II fut blessi dans le dos.
Quant aux petits Chouans, ils partageaient les sentiments du cheva-lier de Margadel « k qui un acte dhumnnitć nc cofttait pas plus qu'un acte de bravoure ». et dont ils araient appris, la veille mime dc la batallle, ces beaux vers:
Des dieux que nous s«rvons connais la diffirence:
Les tiens font commandi le rocurtre et la vengeance,
Et le mień, quand ton bras ricnt de m'assas8iner,
M ordonnc dc to plaindre et de te pardonner.
Les icoliers recevaient ainsi une double lc<on dc leurs chefs: l un leur apprenalt unemagniflque devise,l'autre en faisait 1'application devant eux.