CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 565
L’alcool a 70°, l’eau oxygenee dont le conditionnement ne presente pas ces produits comme des medicaments et dont la fonction et 1’usage peuvent ne den a voir avec la medecine (conservation de prunes pour 1’alcool, decoloration des cheveux pour l’eau oxygenee...) entreront cependant dans le monopole du pharmacien des lors qu’on peut les qualifier de medicaments par composition a cause des substances qu’ils renferment (aff. Patraud, aff. Dubois et autres, aff. Jaud)...
Distinction tripartite combien arbitraire et suspecte d’etre inventee et exploitee pour defendre, voire etendre, le monopole des pharmaciens (cf. J. Azema a propos des medicaments par composition, in comm. prec. n° 62). Classiflcations qu’il est facile de toumer en derision a partir de remarques simples : ici, par exemple, au gre des particularites d’une espece, on a pu degager la notion nouvelle de medicament par im-pression (produit dont le prix eleve et le modę d’emploi ont pu donner a 1’acheteur « 1’impression qu’il s’agissait d’un medicament » : cf. J. Azema, notę prec. J.C.P. 1982. II. 19826 et obs. A. Vitu, cette Revue, 1982.773) ! La, au gre des pretentions des instances professionnelles on ajouterait a la categorie des medicaments par presentation (deja fort ouverte), celle de medicaments par presentation implicite : il s’agirait de produits qui ne seraient des medicaments ni par composition, ni par fonction, ni par presentation mais qui seraient « traditionnellement connus du public comme susceptibles d’avoir des eftets preventifs ou therapeutiques » (sic aff. Dubois et autres : premier moyen de cassation propre a 1’Ordre national des pharmaciens) !
Toutes classiflcations (actuelles et a venir) qu’on pourrait, au fond, regrouper dans une categorie qui aurait le merite d’etre unique et extensible a loisir : celle des medicaments par imprćcision de loi.
III. — Troisieme raison : les juristes romains proclamaient : « lex est aliąuid ratio-nis ». Ils exprimaient par la cette necessite imperieuse pour la regle juridique de se conformer, sous peine d’etre illegale, aux preceptes de la raison (cf. notre etude : « Les principes de la legalite des delits et des peines. Reflexions sur la notion de legalite en droit penal », in Melanges P. Bouzat, Pedone, 1980, p. 153 : la loi au sens de ratio). Et aujourd’hui comme hier on ne saurait considerer comme legał ce qui heurte la raison, le bon sens.
Or ce defaut affecte incontestablement la notion de medicament que defend la juris-prudence de la Chambre criminelle : en s’en tenant aux seules especes commentees, les injures faites au bon sens et expressement denoncees par les cours de Limoges (aff. Patraud) et de Douai (aff. Dubois et autres) abondent : si la vitamine C est qua-lifiee de medicament alors que la seule propriete indiscutable qui lui est scientifique-ment reconnue est de pallier sa propre carence, alors Peau est un medicament puisqu’elle empeche la deshydratation du corps (cour de Douai, afT. Dubois et autres ; aff. Jaud, moyen unique de cassation, 5°).
De meme, si le test de grossesse entre dans le monopole de vente des pharmaciens quoique etant un simple moyen personnel d’auto-information, alors le thermometre banał doit relever du meme monopole (cour de Douai, aff. Dubois et autres).
De meme encore, comme le fait observer la cour de Limoges (aff. Patraud), « tout le monde sait que Pail est bon pour la circulation sanguine et que la pomme detruit le cholesterol : donc Pail et la pomme sont des medicaments par fonction... » et doivent relever, en consequence, du monopole de vente des pharmaciens...
Au terme de cette triple serie d’observations, une conclusion s’impose : la notion de medicament misę en oeuvre par la jurisprudence de la Chambre criminelle n’est pas une notion legale. En consacrant les Solutions qu’elle retient, la Cour de cassation ne peut pretendre defendre le principe de la legalite. EHe defend le monopole des pharmaciens, ce qui est tout autre chose.
Rev. sciencecrim. (3), juill.-sept. 1990