CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE 573
La Chambre criminelle a casse cette decision. Elle a observe d’abord que les faits etaient faux et pas seulement deformes, puisąue le maire avait beneficie d’un juge-ment de relaxe lors de la poursuite pour ingerence qui avait ete effectivement intentee contrę lui. Elle a estime d’autre part que les juges n’avaient pas constate la mauvaise foi des prevenus, iaqueile « ne sauralt resulter que de la connaissance qu’ils pouvaient avoir, lors du depót de la plainte, de I’inexactitude des faits denonces ou de la quali-fication juridique qu’ils leur attribuaient, et non pas de la circonstance qu’ils avaient agi par la voie penale plutót que par la voie administrative ». II semble en effet que ce soit sur cette seule circonstance que Parret attaque ait fait reposer la mauvaise foi des prevenus, alors qu’il mentionnait par ailleurs que ceux-ci s’etaient dits convaincus de la realisation du delit de Particie 175 du codę penal.
Le present arret manifeste une fois de plus que, alors que Pintention coupable est toujours presumee en matiere de diflamation et d’injure, la denonciation calomnieuse exige non seulement la preuve de la faussete des faits, mais egalement celle de la connaissance de cette faussete chez le prevenu. II ne suffit ni de s’appuyer sur Pesprit de vengeance du denonciateur (Crim. 26 oct. 1944, Gaz. Pal. 1944. 2. 181) ni sur son intention de nuire (Crim. 30 janv. 1979, Buli. crim. n° 41 ; Crim. II oct. 1983, Buli. crim. n° 241), ce qui avait ete le cas dans la presente espece. Une simple negli-gence a s’informer ne rćalise pas Pelement morał (Crim. 22 nov. 1971, J.C.P. 1972. II. 17057, notę P.M. B. et nos obs. cette Revue, 1973.125, n° 37 ; Crim. 24 janv. 1973, Buli crim. n° 36 et nos obs. cette Revue, 1973.415, n° 7 ; ainsi que les refe-rences doctrinales et jurisprudentielles citees). Cette solution est admise de longue datę en jurisprudence (Crim. 12 oct. 1850, Buli crim. n° 359 ; Crim. 6 mai 1899, Buli crim. n° 115 ; Crim. 28 fevr. 1902, Buli crim. n° 86), et enseignee par les meilleurs auteurs (Vitu, op. cit. I, n° 519, p. 396).
b) L’arret du 4 octobre 1989 (Buli crim. n° 338, Droit penal, avr. 1990, n° 127, obs. Veron) ecarte la justification que le denonciateur pensait tirer du fait qu’il n’avait agi que sur 1’ordre de ses superieurs.
Le nomme Mu. ayant ete soupęonne par un commeręant d’avoir subtiłise certains produits, ce commeręant chargea Mme Mi. chef caissiere de son magasin d’aller de-poser a la police une plainte pour vol. L’enquete n’ayant pas permis d’etablir la realite du vo! allegue, il semble qu’un classement soit intervenu. C’est alors que Mu. cita di-rectement Mme Mi. en denonciation calomnieuse. La cour d’Amiens relaxa la preve-nue, en constatant qu’il etait etabli que celle-ci n’avait fait qu’obeir a un ordre donnę par son superieur hierarchique, le directeur du magasin, iequel etait au surplus la seule personne habilitee a deposer une plainte pour les faits en question.
Mu. forma un pourvoi en cassation faisant valoir que tous les elements constitutifs de Pinfraction etaient bien reunis (on peut cependant se demander s’il en etait bien ainsi de Pelement morał, si on se refere a la decision precedente commentee ci-dessus en II-fl), et « qu’il importait peu que la denonciation soit portee a la connaissance de Pautorite ayant pouvoir d’y donner suitę par une personne n’ayant pas qualite pour deposer plainte du chef enonce, ni que celle-ci ait agi a la demande d’un tiers a cette autorite, eut-il par ailleurs pouvoir hierarchique a son egard ».
La Chambre criminelle lui a donnę raison. Apres avoir rappele que Particie 373 punit toute personne qui aura commis une denonciation calomnieuse par quelque moyen que ce soit, elle ajoute en chapeau : « Attendu en outre que Pordre reęu d’un superieur hierarchique ne constitue pour Pauteur d’une infraction ni un fait justificatif ni une excuse lui permettant d’echapper aux consequences de cette infraction ». C’est exactement la formule qui avait ete utilisee le 12 janvier 1977 (Buli crim. n° 18) dans la fameuse affaire du salarie condamne du chef de pollution pour avoir pulverise un produit herbicide a proximite du ruisseau alimentant une entreprise de pisciculture.
On peut penser que Mu. aurait pu poursuivre le directeur du magasin (puisque, apres tout, la plainte etait deposee en son nom et qu’il etait a tout le moins complice par instructions d’une denonciation calomnieuse). On peut se demander aussi com-
Rev. science crim. (3), juill. sept. 1990